Haïkus des quatre saisons

Haïkus des quatre saisons – Estampes d’Hokusai. Texte français de Roger Munier. Éditions du Seuil, 2010.

©Seuil

Je connais très mal la culture japonaise, surtout sa poésie, si ce n’est, plus que des œuvres individuelles, la forme du haïku, ces courts poèmes, qui, répartissant sur trois courts verts un nombre prédéfini de syllables, traitent de la relation de l’être humain à la nature et à ses cycles, à son oscillation dialectique entre permanence et variabilité. Cela tombe bien : ce magnifique recueil, paru aux éditions du Seuil en 2010, m’a offert une merveilleuse porte d’entrée vers ce monde d’évanescence et de concision, dessinant, par le biais d’un dialogue entre poésies verbale et visuelle, chaque poème étant accompagné d’une estampe du peintre Katsushika Hokusai, les contours d’une vision du monde toute en mélancolie, délicatesse et sensualité.

Le recueil, très agréable à lire avec sa couverture reliée et ses pages épaisses, se divise en quatre parties, une pour chaque saison, faisant ainsi écho, au niveau formel, à l’élément cyclique de l’année, qui structure, de près ou de loin, chaque poème :

Comme écartant du pied ce qui fut

sans un regard en arrière

l’année s’en va

(Sensaku)

Aussi temps et nature se trouvent-ils bien évidemment au centre du recueil et de ses illustrations, apparaissant sous forme d’un dialogue constant entre éléments du monde sensible, à la fois constant, dans son indépendance vis-à-vis du monde humain, et changeant, périssable, et un entendement humain perdu dans un monde social fait d’épreuves et de douleur, en quête de beauté et de connaissance de soi. Le « je » lyrique, pris entre la tentation du paysage-état d’âme –

Désolation hivernale –
dans un monde à teinte uniforme
le bruit du vent

(Bashô)

Mes os mêmes

sentent les couvertures –

nuit glacée

(Buson)

– et l’amour pour une nature indépendante de ses peines et de ses préoccupations, inaccessible à son entendement, —

De quel arbre en fleur

je ne sais

mais quel parfum !

(Bashô)

– trouve refuge tantôt dans un abandon aux sensations procurées par la beauté des arbres, des fleurs et des montagnes :

Rien d’autre aujourd’hui

que d’aller dans le printemps

rien de plus

(Buson)

tantôt dans une nécessaire prise de conscience de la distance qu’il doit garder avec ces éléments pour qu’ils restent comme il les aime, purs de sa présence. C’est ainsi bien une expérience de la dissolution du moi qui s’accomplit dans ces poèmes, où le « je » ne se laisse entrevoir que pour se laisser disparaître au profit d’une ivresse douce-amère. De sorte que si le poète trouve, ou plutôt, aspire à trouver, l’espace d’un instant, dans la nature, un refuge, loin du poids du monde social et des relations humaines, c’est plutôt dans la conscience d’une indépendance totale du monde sensible vis-à-vis de son propre univers – indépendance à la fois fascinante et source d’une nostalgie sans résolution possible :

Un monde de douleur et de peine

alors même que les cerisiers

sont en fleur

(Issa)

Il n’est pas impossible, toutefois, de trouver, au cœur de cette nature, douce mais inaccessible, une source de réconfort, par le biais d’une reconnaissance de cycles humains faisant écho à ceux de la nature. Le corps troque ses vêtements d’été pour ses habits d’hiver comme un arbre perd ses feuilles :

Changement d’habits –

le printemps a disparu

dans la grande malle

(Saikaku)

les ami.e.s disparaissent et les domestiques sont remplacé.e.s :

Qu’est devenue Enjo ?

elle a vécu sa vie et maintenant

elle est comme la mer d’été

(Kikaku)

ramenant le « je » à ce qui, en lui ou en elle, reste permanent, sa nature humaine, dont l’essence est sa solitude :

Ayant changé d’habits –

je m’assieds

mais je suis seul

(Issa)

solitude, qui toutefois, ne coupe la voix poétique du monde et de l’amour que pour lui procurer l’expérience d’une communauté humaine unie dans sa nature, ses souffrances et ses aspirations :

Les soirs des hommes d’autrefois

furent semblables au mien

ce soir de froide pluie

(Buson)

Ainsi, si le poids du monde pèse sur les corps, c’est en s’abandonnant au monde, comme on le fait en contemplant la beauté des feuilles de cerisier, que l’on trouve, enfin, une forme de paix dans la reconnaissance de ce que l’on ne peut contrôler, accueillant ainsi les aléas de la vie comme un hiver passager :

La tourmente d’hiver

à la fin s’abolit

dans le bruit de la mer

(Gonsui)

À ce dialogue entre voix humaine et monde sensible, s’ajoute celui qui s’établit, dans cette splendide édition, entre la poésie et les estampes d’Hokusai. Lorsqu’ils ne sont pas isolés au milieu de la page blanche, ce qui renforce souvent leur impact émotionnel – comme si, soupirs ou pensées évanescents, ils résonnaient dans un vide intérieur – et leur confère un aspect proprement esthétique, visuel, les vers se coulent en effet au cœur des délicates scènes immortalisées par le peintre, y introduisant un niveau de lecture encore plus profond. Au portrait en pied d’une élégante femme en kimono, semblent se superposer ses pensées mélancoliques, à un kimono abandonné sous un arbre en fleurs, finement tracé, répond l’expression d’un désir de dissolution du moi dans une communion avec la nature. Nature morte ou scènes quotidiennes, les estampes se font ainsi, presque comme des cases de bande dessinée, représentations et immortalisation des questionnements intérieurs qui résonnent au dedans, alors que la vie humaine suit son cours. Faisant parler l’image et s’incarner la poésie, cette anthologie apporte ainsi un regard intéressant sur les liens entre différents supports poétiques, faisant s’exprimer l’un en dialogue avec l’autre.

Véritable porte d’entrée vers une vision du monde mélancolique autant que lumineuse, ce livre est un écrin de beauté, à lire et à relire ainsi qu’à contempler.

Sarah

Plus d’informations sur le site de la maison d’édition :
https://www.seuil.com/ouvrage/haikus-des-quatre-saisons-hokusai/9782021022933

Ce titre n’est pas trouvable sur le site leslibraires.fr, mais vous pourrez y trouver d’autres recueils de haïkus de la même collection en cliquant sur ce lien : https://www.leslibraires.fr/recherche/?q=Ha%C3%AFkus+seuil

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