Solstice

Solstice, Lucas Scholtes, L’employé du moi, 2021

© L’employé du moi / Lucas Scholtes

Il y a quelques semaines, dans le cadre du Prix BD des étudiants de France Culture, j’ai eu le plaisir de lire Solstice de Lucas Scholtes. Je ne suis pas normalement réceptive à ce genre de dessin, mais je me suis laissée séduire puis complètement happée par l’histoire et le propos tenu. Nous sommes à l’approche du bac, et Gus et François s’apprêtent à le passer. Habitués du fond de la classe, on sent que leurs préoccupations sont ailleurs. Décidant d’aller se balader au lieu de réviser, les deux garçons découvrent une forêt fantastique…

A travers ce récit, Lucas Scholtes aborde plusieurs thématiques qui m’intéressent et m’interpellent et dont j’avais envie de parler :

Trouver sa place dans un monde régi par la conformité

Solstice peut se vivre comme une bande dessinée d’apprentissage, où deux garçons font face à « le rite d’apprentissage » de chaque lycéen-e français-e avant une vie d’adulte. Le baccalauréat peut être vu comme la clôture d’un monde académique vers un monde de possibles, possibles qui sont facilités par le fait de savoir ce que l’on veut faire. Mais qu’est ce qu’on fait lorsqu’on est perdus comme Gus et François ? Quelles perspectives s’offrent à nous, surtout si on rate le bac ? Qu’est-ce qu’on fait si on sort du moule établi ? Certaines planches de fin montrent une vie régie par la conformité, qui ne fait rêver personne. Un monde aliénant et aliéné, où les hommes et femmes sont réduits à une chaine humaine. (La tenue de travail blanche du bâtiment peut rappeler également des camisoles blanches, rappelant un monde malade).

© L’employé du moi / Lucas Scholtes

L’expérience dans la forêt a marqué indubitablement les deux garçons. Nous y reviendrons juste après. La forêt a représenté un monde des possibles, même de s’affranchir des codes imposés. Une forêt vierge, utopique, revenant aux basiques face à un monde capitaliste qui uniformise, et exclu ses réfractaires. Pour ne pas trop parler de la fin, la foret restera un rêve auquel s’accrocher : 

La vie continue et la forêt semble si loin maintenant. Le vendredi soir, sur la terrasse, tout le monde regarde au loin. Qu’est-ce qu’ils regardent tous avec cet air triste ? Moi, pour ma part, je regarde la forêt. J’arrive pas à savoir si j’ai envie d’y retourner… 

L’homme et la nature : du chasseur cueillir à l’animal urbain

L’une des grandes thématiques de cette bande dessinée, c’est la nature et ce qu’on en fait. A travers la rencontre de ce géant, rappelant la tradition des chasseurs-cueilleurs préhistoriques. Ivan, ce géant, leur inculquera un savoir élémentaire de survie : comment chasser le gibier, reconnaitre les baies empoisonnées, savoir faire un feu. Revenir au plus près de l’état de nature pour citer Rousseau. L’un des passages m’ayant le plus marqué, et peut être qui m’a également donné à réfléchir est un discours d’Ivan sur notre perception de la nature. Peut-on encore parler de nature, d’endroits préservés quand l’humanité a tout remodelé avec barrages, routes, constructions diverses ou modifications génétiques de plantes ?

© L’employé du moi / Lucas Scholtes

Revenir aux sources : quels enseignements ? 

Cette bande dessinée peut être également vue comme un retour à l’essentiel avant un grand saut vers l’inconnu. Cet apprentissage est à mille lieux de l’enseignement de l’école (j’ai eu quelques sueurs froides en relisant les fonctions mathématiques, en particulier f(x)). Quels enseignements on en retire ? Comment on article les deux : un enseignement sur le tas proche de l’état de nature, un enseignement tout droit dans la lignée de l’état de culture. D’ailleurs, il est difficile de quitter l’état de culture pour revenir à celui de la nature, et François en est l’exemple, choisissant de quitter la foret pour repartir dans le monde « réel ». Que choisiront de garder Gus et François de cette parenthèse « fantastique » à mille lieux des préoccupations d’une vie active ? La citation plus haut montre la foret comme un coin de rêve, une utopie. Mais la germe d’un autre monde semble être plantée. On repensera à Thoreau, « Je suis allé dans les bois parce que je voulais vivre délibérément. Je voulais vivre intensément et sucer la moelle de la vie. Réduire à néant tout ce qui n’était pas la vie. Et ne pas, quand je viendrai à mourir, découvrir que je n’aurai pas vécu.« 

Une fable fantastique ?

La place du rêve est importante. La foret semble à première vue une hallucination. La vue d’un géant comme une sorte de bad trip. La place de la foret semble également fantastique, comme une sorte de Narnia urbain, avec ses créatures et son fonctionnement à part. C’est d’ailleurs un choix narratif efficace, de délivrer à travers le fantastique le message écologique. Quels choix faire pour nous, mais aussi pour les autres ?

La place de l’architecture

Enfin, il était intéressant de revenir sur la place de l’architecture qui rappelle de nombreuses cités françaises avec ses murs en béton pas franchement saillants, qui rappelle également cette uniformité. Mais également ce no man’s land, zone tampon entre la ville et la foret, peuplé de bâtiments similaires mais complètement en ruines, où la nature a repris ses droits, rappelant également l’ambiance fantastique de cette bande dessinée.

Solstice est une bande dessinée extrêmement riche, qui permet à travers deux adolescents au carrefour de leurs vies, de se poser des questions sur notre modèle de société et sur notre rapport à l’environnement. Je vous invite à la lire, et à prolonger la discussion en commentaires.

Margot

Plus d’informations sur le site de la maison d’édition : https://employe-du-moi.org/Solstice

Se procurer la bande dessinée : https://www.leslibraires.fr/livre/18208958-solstice-lucas-scholtes-employe-du-moi

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