Cher Connard

Cher Connard, Virginie Despentes, Grasset, 2022

© Grasset

J’étais déjà féministe lorsque j’ai commencé à lire Virginie Despentes. King Kong théorie n’a pas constitué pour moi de révolution copernicienne comme il a pu l’être chez de nombreuses consœurs, mais – lu dans un contexte particulier- certains passages m’ont chamboulé. Je me souviens de son « on se lève et se casse » dans sa tribune de Libé, qui venait appuyer Adèle Haenel après sa sortie aux Césars. J’attendais donc avec impatience de lire Cher Connard. Autant être franche de suite, je n’ai pas particulièrement aimé cette lecture et j’en suis ressortie mitigée. 

Cher Connard est une correspondance de mails entre Rebecca Latté, actrice cinquantenaire (qui nous fait indubitablement penser à Béatrice Dalle) et Oscar Jayack, auteur à succès qui commence par un billet numérique misogynie (première réponse de Rebecca complètement méritée si vous voulez mon avis, eh oui Oscar les femmes vieillissent aussi). Ces échanges sont entrecoupés de billet de blog de Zoé Katana, ancienne collaboratrice d’Oscar au sein de la maison d’édition, et l’accusant publiquement d’harcèlement sexuel. Au fil des échanges, nos découvrons des liens qui se tissent et se distendent envers les personnages, au gré des différents évènements.

Le personnage d’Oscar joue beaucoup dans ma non-réception de ce livre. J’ai eu énormément de mal à le lire et se plaindre pendant trois cents pages. Sa misogynie (consciente ou non) envers toutes les femmes de son existence – y compris sa propre fille – m’a mise mal à l’aise. De plus, son égocentrisme – sans aucune remise en question des torts qu’il a pu commettre – m’ont rendu la lecture de ses mails insupportables. J’ai eu espoir lorsqu’il a commencé à comprendre le comportement inacceptable qu’il a eu envers Zoé et a fait l’effort de se mettre deux minutes dans ses chaussures. Cet espoir a été balayé quelques pages plus tard. On aurait pu penser que les réunions des narcotiques anonymes auraient pu faire de lui quelqu’un de meilleur : il reste, comme le titre l’indique, un (gros) connard (et pour ça, bravo Virginie Despentes, l’antipathie – voulue ou non-voulue- envers ce personnage est réussie). L’amertume réside surement que la vie n’est pas faite de happy-end et ce livre aussi : les excuses de pacotille ne vaudront rien car le harceleur n’a toujours pas compris, et restera campé sur son pathos et sa posture de ne pas voir où était le mal.

J’ai parfois eu l’impression que ces échanges se transformaient en dialogue de sourds, où Rebecca et Oscar décrivaient leur quotidien plutôt que d’apporter une réponse au message de l’autre. Ces (non) dialogues ont constitué quelques longueurs qui m’ont fait décroché de ma lecture. Je n’ai pas su saisir où l’autrice voulait en venir. Je n’ai pas compris la ligne directrice du livre. J’ai eu l’impression que Despentes se cachait parfois derrière ses personnages (les trois ? À quel moment ?) afin de nous expliquer sa vision de notre société contemporaine (on reconnait ses gouts musicaux que ses personnages lui empruntent).  Mais il y a des fulgurances, des moments de quasi tribunes (à l’instar des billets de Zoé Katana), qui font tilt, notamment sur les féminicides, sur le non-traitement des violences sexistes et sexuelles mais également sur l’utilisation des féministes du passé faite par les hommes pour mieux cracher sur leurs héritières : 

Nous sommes dans le monde des centaines de milliers à dire la même chose et ils sont des centaines de milliers de patrons à le prendre à la rigolade. À nous dire – on n’entend rien ». Ils ne changent pas de disque. Ils convoquent des féministes mortes et enterrées pour dire qu’avant c’était mieux. Puisque même le féminisme leur appartient. Ce n’est pas la bonne Simone qui se serait plainte d’une main au cul, non Simone, c’était la belle époque c’était les violées qui se taisent, les moches qui rasent les murs, les lesbiennes qui se cachent et le petit personnel engrossé à la va-vite et qu’on envoie crever ailleurs. Le bon vieux la domination bien comprise par les dominées.

Autant j’ai été profondément horripilée par Oscar, autant j’ai apprécié le personnage de Zoé Katana : son ton, son envie d’en découdre, ses propos crus qui envoient bouler ceux et celles qui la font chier. Zoé Katana revient également sur différents courants féministes, qui se joutent, qui ne sont pas d’accord sur tout et permet de replacer comment la « maison du féminisme » (pour reprendre les propos de Despentes) s’articule. Cette maison sait se rassembler : lorsque Rebecca fait des courses pour Zoé, lorsque Zoé vient voir Corinne, lorsque Zoé, Rebecca et Corinne discutent pour exorciser les maux.

Bien que les points évoqués ont freiné ma lecture, j’ai trouvé certains points très intéressants, comme la question des rapports de pouvoir dans les industries culturelles que sont l’édition et le cinéma : où les femmes sont corvéables et silencées, réduites au silence face à des propos, des attitudes. Les lettres de Rebecca racontent également ce qu’est d’être une actrice de plus de cinquante : le corps qui change, le moment où l’on comprend que le sommet de sa carrière est derrière soi, des rôles moins intéressants voir une absence de rôle. 

Mais plus qu’être un roman sur #MeToo, Cher Connard est un roman sur l’addiction et sa volonté de s’en défaire: comprendre que l’on a un problème, essayer de s’en défaire, l’ombre planante de la rechute, les réunions de narcotiques anonymes qui deviennent des rituels, où l’on prend peu à peu sa place dans ce groupe disparate qui tend vers un objectif commun, la vie nouvelle, comprendre que parfois cette consommation est une consommation qui n’est pas un besoin, mais une consommation mondaine. Plus que les souvenirs d’enfance – parfois tronqués et oubliés d’un côté, c’est ce ciment de l’entraide de deux personnes qui essaient de se défaire, ce combat qui lie Oscar et Rebecca. Enfin, j’ai également été sensible aux discours sur les réseaux sociaux, où Zoé Katana raconte les effets de meute sur des contenus qui ne plaisent pas à certains utilisateurs et où des pluies d’injures et de menaces tombent sur des comptes de (jeunes) utilisatrices, avant de cibler une prochaine. Ce backlash, concerne principalement les jeunes filles, et la violence misogyne court sur le roman.

Vous l’avez compris, je suis sortie mitigée de cette lecture, et c’est aussi peut-être parce que, comme dans la maison du féminisme, il y a des espaces de vie en commun, mais aussi des espaces personnels, des « chambres à soi » qui différent. J’ai écouté, j’ai été en désaccord sur des points, mais une énergie s’est créée suite à cette lecture. Et honnêtement, ça me fait plaisir lorsqu’un livre féminisme truste les Top 10 de ventes.

Margot

Plus d’information sur le site de la maison d’édition : https://www.grasset.fr/livres/cher-connard-9782246826514

Se procurer le roman : https://www.leslibraires.fr/livre/21297082-cher-connard-virginie-despentes-grasset

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