Les femmes sont aussi du voyage : l’émancipation par le départ, Lucie Azema, Flammarion, 2021
« Heureuse qui, comme Pénélope, a fait un beau voyage » : tel est l’adage qui nous vient à la lecture. Il attendait sagement dans ma pile à lire depuis quelques mois. Jusqu’à la claque de la lecture, au bord de la piscine, qui a éveillé en moi une envie de partir, seule.
Lucie Azema est une femme passionnante avec qui j’aimerai beaucoup partager une tasse de thé et l’écouter parler de ses anecdotes de voyages. Journaliste, elle a vécu en Inde, en Turquie et en Iran. Son premier livre, Les femmes sont aussi du voyage : l’émancipation par le départ, revient sur un genre éditorial : la littérature de voyage. Son livre renverse le postulat que le voyage et l’aventure ne seraient réservés qu’à une certaine partie de la population, les hommes, et propose une galerie de portraits de grandes voyageuses à travers les siècles.
Son livre propose de décentrer notre regard d’européen-e, maintenue par une littérature écrite par des hommes, aux relents orientalistes, autocentrés et souvent éloignés de la réalité. Ces masculinités, principalement en pouvoir, nous laissent une vision biaisée de ces cultures, de ces voyages, cherchant à assoir sa domination et inscrite dans une course à la découverte de nouvelle contrées inconnues des occidentaux. Une première partie analyse l’invisibilisation des ces voyageuses d’hier et d’aujourd’hui dans nos imaginaires collectifs. De cette image d’une femme, épouse attentive du marin, plutôt que membre d’équipage qui les sauvera plus d’une fois, comme Jeanne Barret. Le mari d’Alexandra David Néel – première femme à être entrée au Tibet – sera dans la position « attendue » par la femme, à lui envoyer des lettres depuis Tunis pour lui demander quant elle reviendra de ses expéditions. A travers une documentation riche toujours assortis d’exemples concrets, Lucie Azema nous propose de « ré-investir les récits du monde », en redonnant leur juste place à des minorités – ici principalement les femmes. De voyageuses secondes, faire-valoir masculin, elles reprennent leur place d’exploratrices, d’anthropologues, d’écrivaines, de sauveuses d équipage.
Une deuxième partie, plus pratique mais aussi plus intime, nous donne des conseils pertinents pour voyager. Lucie Azema se livre sur des anecdotes personnelles issues de ces voyages. Voyager, c’est reprendre une place extérieure pour une partie de la population qui a longtemps été cantonnée à la sphère privée. Bagages, vêtements, habitations sont ici détaillés et conseillés. Mais aussi sortir de ce carcan de la peur de l’agression pour aller vers ce goût du risque et de l’inconnu. Dépasser les qu’en dira-t-on pour enfin reprendre possession d’un territoire connoté comme masculin. Voyager pour aussi se découvrir soi, pour avoir le contrôle de sa vie. Je terminera par l’un des passages qui m’a le plus ému et qui fait écho à la Chambre à soi de Virginia Woolf :
Le monde est peuplé de chambres à soi : elles éclosent à la vue quand le train ralentit ou lorsque l’avion se met à descendre lentement. Elles sont là, fourmillantes, comme autant de petits points lumineux qui forment la constellation de nos intimités – maisons temporaires, alvéoles propices à laisser le temps se dilater et à vider des tasses de thé jusque tard dans la nuit.
Les femmes sont aussi du voyage est une lecture que je ne cesserai de recommander. Elle fait planter des graines de liberté et d’horizons nouveaux, et accroit le champ des possibles. Elle fait tomber des craintes et des certitudes comme des châteaux de cartes, et donne envie de prendre son sac et de partir, loin.
Margot
Plus d’informations sur le site de la maison d’édition : https://editions.flammarion.com/les-femmes-aussi-sont-du-voyage/9782080208613
Se procurer le livre : https://www.leslibraires.fr/livre/18530749-les-femmes-aussi-sont-du-voyage-l-emancipation–lucie-azema-flammarion
PS : On vous recommande chaudement le compte twitter de Lucie Azema, rempli de perles linguistiques : https://twitter.com/lucieazm
Un plaid, un thé, des livres 